L’Histoire de la révolution haïtienne, comme celle de nombreux autres pays, est grandement épris de l’empreinte des jeunes. Il est vrai que très peu d’Historiens haïtiens font cas de cette facette de la bataille révolutionnaire. C’est un problème rencontré dans pas mal de pays, du au caractère gérontocratique qui anime le plus souvent l’écriture de l’histoire. De même qu’on fait très peu cas des femmes, c’est la même chose pour les jeunes qui étaient pourtant le carburant qui faisait bouger la machine révolutionnaire. On pouvoir savoir à l’instar de Philippe de Villiers qu’« on ne trie pas son histoire…On ne choisit pas le patrimoine des souvenirs qu’on embrasse. On prend tout et on n’oublie rien ; afin d’avoir la même grille de lecture, les mêmes points précieux, les mêmes balises…»
Ainsi, à l’occasion du 208ième anniversaire de l’indépendance d’Haïti, j’ai trouvé nécessaire de présenter succinctement quelques éléments justificatifs de la grande contribution des jeunes dans la réalisation de l’apothéose de 1804. Il s’agit ici d’un vide considérable au niveau de l’histoire d’Haïti parce que les recherches jusque là effectuées et documents disponibles sur l’implication des jeunes dans les luttes sociopolitiques d’Haïti ne remontent qu’à la révolution séquestrée de 1946. Et même là encore, plusieurs historiens ont l’audace de faire passer celle-ci pour une œuvre des noiristes de l’époque, alors que ceux-ci par peur de la racine états-unienne de la dictature de Lescot, étaient plus des palabreurs que des acteurs réels du mouvement de 1946. Toutefois, un mérite spécial va à Frantz Voltaire pour ce livre intéressant réalisé sous sa direction, à savoir Pouvoir noir en Haïti, qui détient une interview fabuleuse réalisée avec René Depestre sur ladite révolution. S’il fallait remonter plus loin, ce serait les précisions apportées par Leslie R. Péan sur l’importance de la Greve de Damien de 1929 qui fut pour beaucoup dans la désoccupation états-unienne d’Haïti de 1943. Mais quant à la révolution de 1791, rien est dit. On dit tout dans un langage gérontocratique, comme si ceux là qui écrivent n’avaient pas une jeunesse. A ce point, voyons donc combien était importante pour ne pas dire fondamentale la contribution des jeunes dans la réalisation de la révolution de Haïti.
SAINT-DOMINGUE : UNE COLONIE JEUNE ET MORTIFÈRE
Dans la colonie de Saint-Domingue, l’espérance de vie était de 27 ans. Ce qui signifie que toutes les conditions étaient réunies pour que l’esclave accède à la mort. Non seulement la condition dans laquelle l’esclave évoluait conduisait indubitablement à sa mort, mais le pire, c’est que pour n’importe quelle vétille il trouvait la mort. Ainsi, lorsqu’un Historien dit par exemple que Saint-Domingue était la plus riche colonie française, couramment appelé aussi « le grenier de la métropole française », cela voulait dire aussi que l’exploitation humaine y était à son paroxysme. Les gens mouraient excessivement pour assurer le bien-être des esclavageurs.
Dans les mornes comme dans les plaines, à tous les niveaux, les jeunes étaient présents. Rien ne pouvait être entrepris à leur insu qui ne soit voué à l’échec. L’apport des jeunes à tout mouvement réactionnaire et révolutionnaire était indispensable. Leur adhésion était indispensable à tout mouvement, si celui-ci visait vraiment à réussir. Pourtant, on ne fait mention d’aucun jeune, ou je dirais de préférence, on ne laisse présager nulle part, que la plupart de ces gens que l’on cite comme grands combattants, grands guerriers, intrépides et vaillants soldats étaient pour la plupart des jeunes. Les noms sont cités vaguement, sans précision alors que c’était nous les jeunes qui luttions, qui exécutions et donnions aussi certaines fois les ordres.
LES JEUNES ET LE DESIR DE METTRE FIN AU SYSTÈME ESCLAVAGISTE
Contrairement à certains leaders adultes qui avaient des intérêts particuliers à défendre au moment de la révolution, les jeunes quant à eux, étaient au plus profond d’eux-mêmes animés du désir de mettre fin au système esclavagiste afin de réintégrer la masse servile – dont ils constituaient la grande la majorité – dans l’éminente dignité humaine. De même qu’aujourd’hui les jeunes ont intérêt à ce que le pays accède au développement, c’était la même chose pour les jeunes du temps de l’esclavage qui voulaient à tout prix mettre fin à l’esclavage. Ceux-ci ont toujours constitué la grande majorité de la population haïtienne. Lorsqu’on parle par exemple de l’armée indigène, on parle d’une armée qui était constituée de plus de 70% de jeunes ; ce qui revient à dire aussi que non seulement il était question d’une société jeune, mais aussi d’une jeunesse engagée et militante.
A l’époque coloniale, c’était les jeunes qui étaient en esclavage et qui subissaient le système d’oppression et de deshumanisation. Il suffit que les enfants des cultivateurs puissent marcher pour être employés à des travaux utiles sur l’habitation. C’était un système sans pitié. Ce qui intéressait les ainés surtout après tant d’années dans un pareil système, il se contente de travailler pour racheter leur liberté. Car à travers l’exercice d’un métier quelconque, à long terme, ils pouvaient assurer leur liberté moyennant qu’ils donnent aux maitres une certaine somme. Dans la ville du Cap, selon d’Auberteuil, il y avait environ 5.000 esclaves des deux sexes qui étaient employés pour leur compte. C’est vrai que ce chiffre ne dit rien dans une population noire qui fait plus de 400.000 personnes. Mais ils étaient surtout éduqués pour penser ainsi.
La masse des aînés qui ne s’était pas encore procurer de leur liberté, à force d’avoir subi le système esclavagiste n’osait pas - en grande partie - penser à une quelconque révolution. Ils étaient emparés de peur, parce que pétris dans le système. Leur pessimisme les empêchait de penser ou de croire qu’ils pouvaient renverser le système et y mettre fin une fois pour toute. C’était donc le ras-le-bol des jeunes de ce système esclavagiste et qui voulaient coûte que coûte assister à sa fin et qui agissaient en conséquence – en complicité avec certains ainés bien entendu.
LA GÉNÉRATION DES ANNÉES 1770
En voilà un repère intéressant. La majorité de ceux et celles qui ont accompli la première révolution victorieuse d’esclave de l’histoire de l’humanité sont nés dans la décennie des années 1770. Les quelques noms qui n’appartiennent pas à cette décennie – qui appartiennent à celles précédentes – sont peu, tels que Jean Jacques Dessalines (1758-1806), Henri Christophe (1763-1820), Nicolas Geffrard (1761-1806) et autres. Et même là encore, ces derniers avaient entre 27 et 33 ans lors de la réalisation de la Cérémonie du Bois-caïman.
Retraçons un peu l’itinéraire révolutionnaire de certains jeunes, dont il vaut la peine d’en préciser, pour faire savoir aux jeunes, que la jeunesse ne rime pas à l’immaturité et irresponsabilité comme on nous l’a inculqué, mais s’associe au contraire à des qualificatifs beaucoup plus dignes. Ces propos ne sont pas des mots envoyés en l’air, qui se disent rien que pour faire bruit, mais sera démontré à partir de l’histoire, qui représente au niveau de toute société le récipient qui renferme les vérités sur nous-mêmes à travers ceux qui ont vécu avant nous.
Charles Bélaire, l’enfant terrible
Charles Bélaire a fait sa rentrée à quinze ans dans la bataille pour l’Independence. Dès le 25 décembre 1791, on le trouve signant avec Biassou une lettre d’une haute portée politique adressée à l’abbé de Lahaye. A cet âge déjà, il constitua un élément important dans la révolution. La rentrée de Charles Bélaire dans la révolution haïtienne, fait penser à James Forten, une jeune âgé également de quinze ans, qui participa dans la bataille de l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Ce jeune homme participa à plusieurs combats navals victorieux. A force de combattre, il sera une fois capturé dans une bataille. Lorsqu’on lui offrit l’asile en Angleterre au lieu de tuer, James Forten refusa parce qu’il estima devoir endurer le sort qui lui est dû et que, selon lui, ne pas le faire aurait été trahir son pays, trahir le combat. C’est la preuve qu’il n’y a pas d’âge pour défendre une cause noble et juste.
Moyse Louverture ou l’ouverture en faveur des masses
Nous pouvons également prendre en exemple Moyse Louverture qui s’est distingué dans l’histoire d’Haïti pour sa position prise en faveur des masses du Nord-Ouest, et qui sera par la suite de cette position condamné à la peine de mort, pour être exécuté le 24 novembre 1801 sans être entendu ni défendu, fait aussi partie de la génération des années 1770. Il était même pressenti comme le principal remplaçant de Toussaint Louverture. Mais sur demande du chef de l’expédition française qui, selon les nouvelles qui lui était parvenues, voyaient en Moyse Louverture une menace au rétablissement de l’esclavage qui était en fait le nouveau projet de la France pour Saint-Domingue avec le règne napoléonien. Meurt à vingt-neuf ans (1801), alors très jeune, Moyse est le type d’homme sans le savoir que tous les mouvements de jeunes en Haïti ont suivi à travers leurs revendications et positions.
Lamartinière : simple mais terrible
Pas trop connu au départ, Lamartinière, né en la même année que Pétion, a brillé dans cette foule de masse de révolutionnaires par son sens de stratège lors du combat de la Crête-à-Pierrot. C’est de cet événement qu’il sortira de l’ombre. Lamartinière est un jeune mulâtre qui n’avait que vingt ans lorsque les esclaves commencèrent à incendier la Plaine du Nord, officier de l’armée du Sud de Rigaud, en compagnie bien entendu d’Etienne Magny qui, avec seulement seize cents hommes et femmes, a vaincu les quatorze mille soldats français qui les ont assiégés au fort de la Crête-à-Pierrot. En tant que neveu de Toussaint Louverture, lorsque ce dernier passa au service des Français en été 1794, il le fait avec lui. Avec le mode d’organisation des troupes en demi-brigades au printemps 1795, il est intégré au 7e avant de devenir le colonel de remplacement de Desrouleaux. Ce vaillant guerrier ne verra malheureusement pas la naissance de ce pour quoi il luttait : Haïti. Il mourut très jeunes, après qu’on captura sa femme Sanite Bélaire. A la réception de cette nouvelle, il décida de mettre bas les armes, espérant ainsi une amnistie. Mais au contraire sera pris et exécuté lui et sa Sanite le 5 octobre 1802, devant un peloton d’exécution. Lorsqu’il trouva la mort, sont âge était de vingt-six ans, alors qu’il n’avait que sans compter les sans nom, les milliers de jeunes qui n’ont pas pu se tailler un renom au cours de cette bataille.
Louis Gabart et Boisrond Tonnerre : les amis de l’empereur
Ce deux derniers jeunes que retenons dans le cadre des jeunes qui ont laissé leur marque indélébile dans l’histoire d’Haïti, il est clair que le nom de Boisrond Tonnerre dirait beaucoup plus pour plus d’un, car celui, vu qu’il a étudié en France et qu’il fut le Secrétaire de l’Empereur Jacques 1ier, il faut reconnaître toutefois qu’il n’était pas vraiment quelqu’un qui était présent aux temps forts des luttes armées qui devaient amener à l’indépendance. Cela n’empêchait toutefois, à cause de sa fougue et de sa compréhension de la bataille révolutionnaire d’être parmi les signataires du document jusque là le plus important pour notre nation, même quand nous ne l’avons pas en possession, l’Acte de l’Indépendance. On retient surtout de Boisrond Tonnerre, lorsqu’il écrivit cette phrase que les occidentaux ne pardonneront pas à Dessalines : « Pour rédiger l’acte de l’indépendance, il nous faut la peau d’un Blanc pour parchemin, son crane pour écritoire, son sang pour encre et une baïonnette pour plume ». Dessalines, qui allait devenir le Premier Empereur noir de l’hémisphère occidental, trouva en ses mots l’énergie qu’il fallait pour galvaniser cette foule qui a subi générationnellement quatre siècles d’esclavage. Durand toute cette période, Tonnerre n’avait que 27 ans.
Comme je l’ai dit au départ, le jeune qui a le plus marqué Dessalines – même quand très peu de gens le reconnaisse – c’est Louis Gabard. Ce n’est pas sans raison que j’ai choisi d’en parler en dernier. Né en 1776, ce qui veut dire qu’il n’avait que 15 ans comme tant d’autres au moment où éclata la révolution en 1791. Il participa à de nombreuses batailles dont il se fait toujours distinguer. Dans la bataille de Vertières par exemple dont toute la gloire est censé accordée à François Capois, dit Capois Lamort, il faut reconnaitre que cette victoire serait impossible sans la présence, mais surtout le sens stratège de Louis Gabard. Sans aucune faveur, il atteint le grade de General de division. Signataire à 27 ans de l’Acte de l’Indépendance, Gabart mourut en octobre 1805. Mais pour honorer sa mémoire, Jean Jacques Dessalines, devenu Empereur Jacques 1ier de Hayti, fit prélever le cœur de l’enfant du Dondon qui reposera au fort Culbutez, à Marchand. Sur la pierre tombale, il fit poser ces propos encenseurs en hommage à ce vaillant militaire : « Soldat, si tu aimes la gloire, reposes un instant tes regards sur sa tombe, et plains celui qui fut un héros avant d’avoir atteint l’âge où les grands hommes se font même deviner. »
LA CONTRIBUTION DES JEUNES FEMMES DANS LA RÉVOLUTION
Nous devons également apporter cette petite précision, relative à la contribution des jeunes femmes au niveau de cette bataille anti-esclavagiste pour la réintégration des Noirs à l’éminente dignité humaine. Leurs contributions viennent sous diverses formes. Des fois en tant qu’espions, et d’autres fois à titre de soldats. Ce sont des aspects que les historiens très souvent méprisent. Car vu les stéréotypes en termes d’écriture scientifique qui ne tend à porter aucune précision où tout a tendance à être passé pour l’œuvre des adultes, mais de plus des hommes, les jeunes femmes son en ce sens doublement victimes. Il ne s’agira pas vraiment dans le cade de ce texte de texte de faire un grand développement en ce sens, mais je tiens surtout à faire la remarque qu’aux cotés de chacun des jeunes hommes, influents ou pas, qui prenaient part dans la révolution, il y avait une femme qui le plus souvent était moins âgée que lui. Ces femmes n’étaient pas toutes des soldats, mais d’une manière ou d’une autre ont contribué.
Parmi les jeunes femmes les plus connues de la révolution – même quand ces précisions en termes de jeunesse ne sont pas portées par nos historiens, on peut citer Marie Jeanne, de Sanite Bélaire qui étaient respectivement les conjointes de Lamartinière et de Charles Bélaire. Marie Jeanne est même devenue un proverbe, une expression que l’on se sert couramment dans le langage haïtien. Sanite Bélaire, celle que nous retrouvons sur notre billet de dix gourdes était exceptionnelle. C’est toujours un plaisir pour moi, lorsque par exemple, notre historienne Bayyinah Bello, raconte l’histoire de cette femme officier. Je ne vais malheureusement pas m’attarder sur les détails, sinon que de dire – et vous pouvez vous-mêmes en faire la déduction – qu’elle n’était âgée que de 19 ans lorsqu’elle fut capturée par les Français et ceci lâchement. Elle a rendu l’âme vaillamment, sans même pas une seconde plier l’âme. On peut aussi retenir pour terminer le nom d’une femme également très intéressante comme Gelinette Getin qui, dès 1803, alors qu’âgé seulement à l’époque de seulement 14 ans, avait déjà accompli, pour répéter après Mirlande H. Manigat, des missions périlleuses sur les champs de bataille.
CONCLUSION
Il y aurait certainement beaucoup d’autres exemples à avancer, mais on ne saurait tout dire dans le cadre d’un travail comme celui-ci. Nos propos n’ont certainement pas pour objectif de faire passer l’œuvre de 1804 pour une révolution réalisée rien que par des jeunes, mais il est tout aussi absurde et malhonnête de faire passer comme une lettre à la poste la contribution des jeunes dans la matérialisation de celle-ci. On doit tout dire et bien dire aux jeunes. Car tout dire ceux-ci, c’est du coup, apporter un souffle nouveau à notre société qui est aujourd’hui excessivement jeune et qui a besoin de cette même fougue, non pour crier comme du temps de l’esclave « liberté ou la mort » mais de préférence « développement ou la mort » parce qu’au point où nous sommes parvenus, nous avons deux choix, pour reprendre ce titre Myrtha Gilbert « Nous prendre en charge ou disparaitre ».
Roudy Stanley PENN
Politologue et passionné d’histoire
Président de JEUNESSE MONTANTE